Minuit. Minuit une. Minuit Deux… Décidément, certaines nuits à la Kentigern Academy pouvaient paraitre bien longues. Beaucoup trop même. Etonnement les créatures de la night class étaient celles qui suivaient au mieux le règlement. C’était tout du moins l’impression que j’en avais. Ou alors cela était parce que pendant la journée je n’étais pas là pour voir qu’ils désobéissaient au règlement, je l’ignore. Ce dont je suis sure, c’est qu’ils sont soit assez malins pour parvenir à m’éviter, soit assez sages pour m’éviter. Je ne fais pourtant pas bien peur. Ou je n’en ai pas l’impression. Après tout : comment pourraient-ils être effrayés par un ange de ma carrure ? Si au moins j’étais l’un de mes camarades bien plus baraqués que moi cela se comprendrait ! Mais non. C’était moi qui étais l’une des gardiennes. D’ailleurs en y repensant, le directeur avait choisi deux filles de la day class, et deux garçons de la night. Etrange. Etait-ce le fruit du hasard ou était-ce fait exprès ? Il était impossible de l’interroger sur ses choix. Il ne m’avait même pas été possible de refuser ce poste. Et puis finalement, le directeur Rakel est trop effrayant pour qu’on lui refuse quoi que ce soit. Il ne m’arrive pas souvent de le voir – si ce n’est quasiment jamais – mais je crois que je pourrais craindre la moindre de nos rencontres. Cela ne venait pas du fait qu’il était un vampire. Je ne crois pas en tout cas. Mais il pouvait paraitre constamment… De mauvaise humeur. Même dans ses bons jours à ce qu’on avait put me dire. Autant dire mon opposé le plus direct à moi qui suis toujours de bonne humeur et souriante. Cela peut en agacer plus d’un, mais j’avoue m’en moquer complètement. Longeant les allées des jardins de l’académie, je m’arrête finalement sur mon chemin pour sortir quelque chose de ma poche : mon Ipod. Je place les écouteurs dans mes oreilles et allume l’appareil qui ne tarde pas à lancer la première chanson.

« You think I'm pretty
Without any make-up on
You think I'm funny
When I tell the puch line wrong
I know you get me
So I'll let my walls come down, down »

Et bien quoi ? Ce n’est pas parce que j’ai 76 ans que je n’apprécie pas les musiques qu’écoutent les jeunes humains ! Et puis Katy Perry a le don de me donner à nouveau la pêche dans les moments où je serais capable de m’endormir ou de mourir d’ennui. Quoi que je sache que je serais incapable de mourir d’ennui du fait que je sois un ange. Au fait… Est-il possible de définitivement mettre fin à l’existence d’un ange ? Ca doit être faisable quelque part surement. En le décapitant ou quelque chose du genre. Surement. En réalité, je ne sais pas grand-chose sur les miens et je ne cherche pas à en savoir plus. Je n’ai pas de rôle majeur dans cette société, alors je ne vois pas pourquoi je devrais m’interroger sur des questions aussi compliquées. Je préfère vivre ma vie tant qu’elle s’ouvre à moi. Bien sur que si je voulais poser des questions à propos de ce que je suis, nombreux sont ceux qui pourraient m’y apporter des réponses. Mais en attendant, je préfère me concentrer sur ma musique. Quoi qu’un coup de vent vienne me rappeler qu’en Irlande, même les collants ne sont pas suffisants lorsque l’on porte une jupe. Parce que oui, bien qu’il soit minuit passé, je suis vêtue d’une jupe en jean, d’épais collants noirs et des bottes plates en daim – pour être sure de ne pas faire un bruit monstre lorsque je marche dans les couloirs. Mais rassurez-vous : je ne suis pas folle. J’accompagne toujours cette jupe d’un pull en laine bordeaux qui couvre un débardeur blanc. Je sais, mes mélanges chaud/froid peuvent paraitre étranges. Mais avec ma chère et tendre étole noire autour du cou et mon blouson en cuir, je suis généralement parée à toutes épreuves.

« Let's go all the way tonight
No regrets, just love
We can dance until we die
You and I
We'll be young forever »

Dans mes oreilles, la musique continue de défiler tandis que je parviens enfin à l’entrée du bâtiment principal, là où la night class a actuellement cours. Je tire alors la porte lourde afin de la franchir, puis la retient pour éviter qu’elle claque et que le bruit résonne dans l’ensemble du bâtiment. Ce qui ne serait franchement pas discret. Depuis le temps que j’effectue mes rondes, j’ai appris à rester discrète, à ne pas me faire voir ni entendre. Mais également à être attentif à ce qui m’entoure, c’est d’ailleurs pour cela que je baisse le son de ma musique afin de pouvoir entendre ce qui se passe autour de moi. Ma main gauche sors de la poche de mon blouson afin de glisser le long de ma cuisse et d’attraper le jean de ma jupe. Sous le tissu, je sens mon poignard attaché autour de ma cuisse, qui me permet ainsi de l’attraper d’un geste vif en cas de nécessité. Ces couloirs, ils avaient le don de me ficher la chair de poule. Grand, silencieux, le parquet grinçant de temps à autres, j’avais parfois l’impression d’être dans l’un de ces châteaux hantés. Bien sur ce n’était pas le cas. Enfin… Je l’espérais. Surtout que derrière moi, des bruis de pas se faisaient plus proches, plus menaçants. J’éteignis alors la musique et glissa les écouteurs dans la poche de ma jupe et m’arrêta à une intersection et me glissa contre le mur, dans l’ombre. Oui, parfois cela ressemblait à une véritable partie de chasse. Mais cela est bien nécessaire contre des élèves peu enclins à suivre le règlement. Ma main gauche ne quittant pas sa place stratégique contre ma cuisse, je retenais mon souffle et me préparait à attraper cet évadé…